mardi 3 mai 2011

Roberto JUARROZ - Poésie Verticale

Nous restons figés parfois
au milieu d'une rue,
d'un mot
ou d'un baiser;
les yeux immobiles
comme deux longs verres d'eau solitaire,
la vie immobile
et les mains inertes entre un geste et celui qui aurait suivi,
comme si elles n'étaient plus nulle part.
Nos souvenirs alors sont d'un autre
dont à peine nous nous souvenons.


C'est comme si nous prêtions notre vie pour un temps,
sans l'assurance qu'elle nous sera rendue
et sans que personne nous l'ait demandée,
mais en sachant qu'elle sert alors
à quelque chose qui nous concerne plus que tout.


La mort n'est-elle un prêt, elle aussi,
au milieu d'une rue
d'un mot
ou d'un baiser ?


*


Il est plus facile de rayer l'obscurité que la lumière.
Y suffit le trait de craie d'une pensée.
Pour rayer la lumière, 
il faut aussi la poussière en suspension d'un regard
ou du moins sa séquelle furtive. 


A leur tour, l'obscurité et la lumière rayent l'oeil,
mais elles ne peuvent rayer la pensée, 
sa transparence minérale, 
son cristal toujours en fuite. 


Et pourtant, 
la pensée a ses rayures aussi, 
bien que jamais elle ne les pense. 






Roberto JUARROZ, Troisième poésie verticale, 1965.

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