dimanche 11 avril 2021

SATPREM, Sri Aurobindo ou l'Aventure de la Conscience


                Cette différence substantielle entre l’Indien et les autres peuples n’apparaît 

nulle part mieux que dans son art, comme elle apparaît  aussi dans l’art égyptien 

(et, nous le supposons  sans le connaître, dans l’art d’Amérique centrale) car si l’on 

quitte nos cathédrales légères, ouvertes, élancées comme un triomphe de la pensée 

divine des hommes, et que, brusquement, dans le silence d’Abydos sur le Nil, nous 

sommes mis en présence de Sekmeth, ou, derrière le péristyle de Dakshineshwar, face 

à face avec Kâli, nous sentons bien quelque chose – nous béons tout à coup sur une 

dimension inconnue, un « quelque chose » qui nous laisse un peu sidéré et qui n’est 

absolument pas là dans tout notre art occidental. 

Il n’y a pas de secrets dans nos cathédrales ! tout est là, net et propret, ouvert aux 

quatre vents pour qui a des yeux extérieurs – pourtant, il y a bien des secrets… 

Il ne s’agit pas ici de comparer des mérites, serait-ce assez absurde ! mais de dire 

simplement que nous avons oublié quelque chose. 

Comment ne nous a-t-il pas frappé, malgré tout, que si tant de civilisations, qui furent 

glorieuses et raffinées autant que la nôtre – ayons la modestie de l’admettre – et dont 

l’élite n’était pas moins « intelligente » que celle de nos Sorbonne, ont eu la vision et 

l’expérience de hiérarchies invisibles (pour nous) et de grands rythmes psychiques 

qui excédaient la brève pulsation d’une vie humaine unique, ce n’était pas, peut-être, 

une aberration mentale – étrange aberration qui se retrouve à des  milliers de lieues 

en des civilisations étrangères l’une à l’autre – ni une superstition de vieilles dames 

imaginatives.  Nous avons balayé l’âge des Mystères, c’est entendu, tout est 

admirablement cartésien, mais il manque quelque chose. 

Le premier signe de l’homme nouveau, probablement, est qu’il s’éveille à un terrible 

manque de quelque chose, que ne lui donnent ni sa science, ni ses Églises, ni ses 

plaisirs tapageurs. On n’ampute pas impunément l’homme de ses secrets. (...)


                Pourtant, si l’on suppose que l’Inde où se survivent d’anciens Mystères nous 

donnera la solution pratique que nous cherchons, nous risquons d’être déçus. Sri 

Aurobindo, qui sut vite apprécier la liberté, l’ampleur spirituelle et l’immense effort 

expérimental que l’Inde révèle au chercheur, ne se laissera pas gagner en tout, il s’en 

faut ; non pas qu’il y ait rien à rejeter ; il n’y a rien à rejeter nulle part, pas plus dans ledit 

hindouisme que dans le christianisme ou dans n’importe quelle autre aspiration de 

l’homme, mais il y a tout à élargir ; à élargir sans fin. 

Ce que nous prenons pour une vérité ultime n’est, le plus souvent, qu’une expérience 

incomplète de la Vérité – et, sans doute, la totalité de l’Expérience n’existe-t-elle nulle 

part dans le temps et dans l’espace, en aucun lieu, aucun être si lumineux soit-il, car la 

Vérité est infinie, elle va toujours de l’avant. Mais toujours on se charge les épaules d’un 

fardeau interminable, disait un jour la Mère dans une conversation sur le bouddhisme. 

On ne veut rien laisser tomber du passé et on est de plus en plus courbé sous le poids 

d’une accumulation inutile. Vous avez un guide sur un morceau de chemin, mais quand 

vous avez passé ce morceau de chemin, laissez le chemin, et le guide, et allez plus 

loin. 

C’est une chose que les hommes font avec difficulté ; quand ils attrapent quelque chose 

qui les aide, ils s’accrochent, et puis ils ne veulent plus bouger. Ceux qui ont fait un 

progrès avec le christianisme ne veulent pas le laisser et ils le portent sur leurs épaules, 

ceux qui ont fait un progrès avec le bouddhisme ne veulent pas le laisser et ils le portent 

sur leurs épaules, et cela alourdit la marche et cela vous retarde indéfiniment. Une fois 

que vous avez passé l’étape, laissez-la tomber, qu’elle s’en aille ! allez plus loin ! 


SATPREM, Sri Aurobindo ou l'Aventure de la Conscience, 1964