mercredi 14 août 2013

Maria I. BARRENO, Maria T. HORTA, Maria VELHO DA COSTA, Nouvelles Lettres Portugaises

Première Lettre II

     Quelle autre manière ai-je d'examiner les choses, les autres, sinon avec toute ma passion ? Passion alimentée par le simple plaisir ou la simple douleur qui me la font sentir. – Ainsi je te cherche, je t'utilise, je t'écris ; mais les mots ne sont pas des maillons, ni des ponts, ni des noeuds faits pour être dénoués dans la solitude des chambres. (...)

     Rassasiées nous serons un jour. – Je demande : "Aurons-nous cette sorte de satiété vorace pour laquelle nous sommes les fruits ? – Sans masques nous irons, même si nous savons que cela nous expose aux menaces, aux pures médisances, à la rage, à l'intolérance des coutumes, avec lesquelles on fait le bois des bûchers.
      Que nous restera-t-il de nous alors, après cette aventure ? 
Au frein ils voudront nous dompter et à rêne courte. Mais du lieu où dormait notre mère ne nous parvient pas même l'ombre de cette peur ; d'autres vêtements nous cousons pour cette joie et pour notre abandon. Car l'abandon est une présupposition de plus, coutume ou usage dans la quenouille où se file le goût. 
     De cette manière nous allons construisant un azulejo : tout un tableau. Lettre par lettre, parole écrite, volatile, livrée. Pour nous surtout, puis pour eux; pour qui voudra nous lire, fût-ce avec rage. Et jamais l'amour n'a été à ce point inventé, donc véritable : 
"Ce plaisir que j'étreins quand je t'étreins et tes doigts lentement courent sur mes bras, sur mes cuisses, sur mes seins. – A quelle sorte de vertige je me livre, et j'y demeure. Dans quelle sorte de cri et de déchirement je me débats et je croîs, je m'accroîs, je deviens folle et je me suffis; ou je ne me suffis pas et par conséquent je t'invente, je te réinvente, je te fais, je te défais pour me nourrir de toi. 
Attention, donc, à ceci : il y a danger de nous désirer ou de nous nier. Toi homme-maître qui me chevauches ou le prétends et moi qui parais te suivre dans ce jeu, y consentir, mais en réalité le contestant, cheminant déjà dans des labyrinthes autres, dans des étés torrides, il est vrai, mais selon mes trajets à moi.
     Parce qu'en vérité à ma possession seule tu t'intéresses : moi ta terre, ta colonie, ton arbre-ombre-programmée pour calmer les sens. En toi aussi tu me veux en clôture : toi mon couvent même, mon ambition unique, finalement mon seul désert."
"Tu as vaincu" – je dis, et tu penses : j'ai vaincu. Mais tu es vaincu. Ma lente tourmente à partir du néant, je te fais surgir lettre par lettre. En tentant de comprendre à partir de nous trois toute séquestration quelle qu'elle soit, ce qui la constitue comme projet de passion ou déjà passion elle-même. Ainsi, je pense, quand nous nous donnons la main , nous trois, quand nous nous livrons, nous trouvons notre indépendance à nous. 
     Nous nous cherchons, nous vous cherchons, en essayant de comprendre pourquoi. Qui peut savoir la démesure de ce désir, qui peut savoir si ce n'est pas autre chose que du luxe, de la provocation, de l'avidité : 
"C'est au moyen du corps que la passion me prend : le corps lui-même est déjà cette passion ou son objet, ses racines, ce qui la constitue, son repos. – Comment ne pas me souvenir de tes hanches étroites et ne pas te dire ma passion pour elles jamais ? Ainsi j'aime des parties de toi, et pour cette raison, je t'aime, et tout au bonheur de les avoir, je me complais avec elles."

     Et peut-être irons-nous jusqu'à dire comme soeur Mariana : "qu'adviendrait-il de moi sans tant de haine et tant d'amour (...)". Cependant, soeurs, nous ne restons jamais pour la souffrance mais pour le plaisir, sans que ce soit par nostalgie ou par croyance. Puisque nous rompons la clôture, oui, nous la rompons. 

     Qu'adviendrait-il de nous sans tant d'amour – ne serait-ce que pour le pur déplaisir que cela nous ferait. 
  

Nouvelles lettres Portugaises, 1973

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